Pyrénéisme

Cet article est en cours de réécriture ou de restructuration importante ().

Un utilisateur prévoit de modifier cet article pendant plusieurs jours. Vous êtes invité(e) à en discuter en page de discussion et à participer à son amélioration de préférence en concertation pour des modifications de fond.
Bandeau apposé par LMats (d · c) le 4 septembre 2024.

Si ce bandeau n'est plus pertinent, retirez-le. Cliquez ici pour en savoir plus.
Si ce bandeau n'est plus pertinent, retirez-le. Cliquez ici pour en savoir plus.

Cet article peut contenir un travail inédit ou des déclarations non vérifiées ().

Vous pouvez aider en ajoutant des références ou en supprimant le contenu inédit. Voir la page de discussion pour plus de détails.

Groupe de pyrénéistes espagnols, français et anglais dans les pics d'Enfer en 1909.

Le pyrénéisme est un mouvement sportif, artistique et littéraire qui consiste à parcourir les Pyrénées pour en réaliser une œuvre en rapport avec l'expérience ressentie. Il naît au XVIIIe siècle pour connaître son apogée au XIXe siècle, avant de devenir plus confidentiel aux XXe et XXIe siècles. Le développement du pyrénéisme est concomitant de ceux du mouvement romantique en Europe et du tourisme thermal en France.

Selon l'inventeur du terme, Henri Beraldi, « l'idéal du pyrénéiste est de savoir à la fois ascensionner, écrire, et sentir. » Béraldi crée le terme « pyrénéisme » en 1898 dans son ouvrage Cent ans aux Pyrénées et attribue l'origine du mouvement à l'ouvrage de Louis Ramond de Carbonnières, Observations faites dans les Pyrénées, paru en 1789.

Définitions

« L'idéal du pyrénéiste est de savoir à la fois ascensionner, écrire, et sentir. S'il écrit sans monter, il ne peut rien. S'il monte sans écrire, il ne laisse rien. Si, montant, il relate sec, il ne laisse rien qu'un document, qui peut être il est vrai de haut intérêt. Si — chose rare — il monte, écrit et sent, si en un mot il est le peintre d'une nature spéciale, le peintre de la montagne, il laisse un vrai livre, admirable. »

— Henri Beraldi, Cent ans aux Pyrénées, 1898.

Le terme « pyrénéisme » est forgé en 1898 par l'écrivain mémorialiste Henri Beraldi dans le premier tome de son ouvrage Cent ans aux Pyrénées, qui retrace l'histoire des marches, des ascensions et de la découverte touristique des Pyrénées tout au long du XIXe siècle[1],[2]. Dès les premières pages, l'auteur affirme que l'idéal pyrénéiste consiste à « savoir à la fois ascensionner, écrire, et sentir »[3].

L'historien Étienne Bordes soutient que ce triptyque « singularise le pyrénéisme par son ancrage dans une sensibilité romantique, dans l'ethos contemplatif de la découverte du monde d'en-haut », et rassemble un groupe d'hommes et de femmes qui ont « décrit, dessiné, inventorié, popularisé, aménage, exploité parfois le massif pyrénéen »[2]. Pour le géographe Xavier Arnauld de Sartre, le pyrénéisme « vise à distinguer une forme d'identification élective à un lieu et à un groupe social d'une exceptionnelle longévité […] en même temps qu'une activité sportive, artistique et éditoriale intense et originale »[4]. Étienne Bordes précise que la défense et l'illustration d'une pratique spécifique de la montagne pyrénéenne « [fait] l'objet d'une lutte symbolique de la part de ses praticiens » qui montrent ainsi leur fidélité et leur attachement aux valeurs et à l'esprit de l'alpinisme des origines tel que le décrit la sociologue Delphine Moraldo. Au tournant du XXe siècle, tandis que l'alpinisme « se corromprait par un usage excessif des muscles, des techniques rocheuses et de la force brute », les pyrénéistes « préserveraient un usage et un regard sur la montagne » dans un but artistique et scientifique qui allie la découverte et le dépassement de soi[2].

De fait, le terme « pyrénéisme » est assez peu répandu en dehors du cercle des montagnards et des pyrénéens, et certains auteurs comme Renaud de Bellefon ou Paul Bessière estiment que l'histoire de ces deux mouvements n'est pas si différente[4],[5]. Cet historien qualifie le pyrénéisme de « fourre-tout dénué de sens » : il y voit « une invention sans autres contenus véritables »[6]. Par ailleurs, cette définition « ne concerne qu'une mince frange des usages et des usagers de la montagne », cependant qu'elle rassemble des individus issus de plusieurs générations dont les conceptions peuvent être différentes voire antagonistes[2]. Ainsi, Étienne Bordes considère la définition première du pyrénéisme comme réductrice[2], dans la mesure où elle suppose que l'approche savante et sensible de la course en montagne ne se retrouve pas dans d'autres lieux[1], et la présente comme « le produit d'une forme d'ethnocentrisme aristocratique dont Henri Beraldi se fait le scribe »[2].

Le pyrénéisme se construit alors autour d'un groupe restreint d'individus, une élite ascensionniste que se distingue tant par l'origine sociale de ses membres et la rupture qu'ils créent avec les pratiques antérieures de la montagne, que par « l'effet d'entre-soi prolongé » qu'ils mettent en place par des réseaux de correspondance et de revues, ou encore la constitution de clubs[7].

Histoire

L'histoire du pyrénéisme s'étale sur un peu plus de cent ans. Elle commence à la fin du XVIIIe siècle, lorsque les Pyrénées commencent à tirer profit du développement du thermalisme moderne et de la construction de nouveaux axes routiers pour recevoir des usagers plus fortunés, et s'achève au début du XXe siècle, lorsque de nouvelles pratiques de la montagne se diffusent, comme le ski ou la recherche d'ascensions marquées par la difficulté[8]. Entre ces deux jalons, le XIXe siècle pyrénéen est le fait d'un petit groupe d'individus résolument élitaire, aristocrate et bourgeois, qui se singularise par les efforts qu'il déploie pour valoriser sa pratique[8]. Moins hautes que les Alpes, aux sommets relativement faciles d'accès et parfois déjà fréquentés, les Pyrénées apparaissent alors comme un massif dominé, un « lieu secondaire de l'espace européen » en matière d'alpinisme, de sorte que ces individus cherchent à légitimer leur fréquentation assidue de ce massif par d'autres facteurs d'attractivité que la seule conquête des hautes cimes[8].

Si le mémorialiste Henri Beraldi est le premier, au tournant du XIXe siècle, à dresser un inventaire de ces figures du XIXe siècle pyrénéen, ce sont les pyrénéistes eux-mêmes qui, par leur abondante production littéraire, retracent l'histoire de leur propre groupe[9]. En 2024, Étienne Bordes entreprend une première « biographie collective pyrénéiste » qui entend « tracer les contours de cette élite ascensionniste pour distinguer les pyrénéistes au milieu des autres montagnards »[9].

Les premiers pyrénéistes (des années 1780 aux années 1840)

Portrait gravé en médaillon.
Louis Ramond de Carbonnières, « l'inventeur des Pyrénées ».

« Les Pyrénées n'existent que depuis cent ans. Elles sont « modernes ». Les Pyrénées ont été inventées par Ramond. »

— Henri Beraldi, Cent ans aux Pyrénées, 1898[10]

Selon Étienne Bordes, « la première génération des pyrénéistes inaugure et expérimente les nouvelles représentations et pratiques de la montagne qui fleurissent dans le monde des élites européennes de la fin du XVIIIe siècle. Ses membres allient la découverte, l'ascension et l'écriture en important dans les Pyrénées les normes émergentes de l'alpinisme européen »[11]. Mais pour cette première génération, il n'est pas encore question d'une conscience pyrénéiste ni de spécificité réelle à l'exploration de ce massif. L'expérience pyrénéenne n'est qu'une étape dans un parcours plus large, y compris pour Louis Ramond de Carbonnières, souvent considéré comme « l'inventeur des Pyrénées » : ce dernier publie ses Observations sur les Alpes en 1777, dix ans avant son premier séjour dans les Pyrénées[11].

Lithographie en couleur montrant une vue d'ensemble du village dans la vallée.
Vue de Barèges en 1821 par Marianne Colston.

D'une manière générale, il n'est pas question pour ces premiers pyrénéistes d'explorer méthodiquement la chaîne pyrénéenne : seuls Louis Ramond de Carbonnières et Vincent de Chausenque multiplient les ascensions et s'investissent durablement dans la découverte des Pyrénées. Pour les autres individus de ce groupe, l'expérience pyrénéenne s'étend rarement au-delà d'un séjour à dessein scientifique ou « d'une seule grande course initiatique »[11], menée avec des guides expérimentés[12]. Mais leur production littéraire tout autant que leur sociologie suffit à les distinguer des « fréquentations profanes d'un public de touristes-curistes qui se contente d'ascensions plus modestes et balisées »[11].

Portrait d'un homme assis sur une chaise à côté d'une table sur laquelle un vase est posé.
Le duc de Nemours en 1852.

Étienne Bordes recense une trentaine d'individus qui peut être rassemblée dans cette première génération de pyrénéiste, dont la majorité sont des aristocrates, qu'ils soient membres de la petite noblesse d'Ancien Régime et du Premier Empire ou de la haute aristocratie française et européenne, à l'image de Louis d'Orléans, duc de Nemours qui réalise la première ascension du pic Long en 1846, ou encore Napoléon Joseph Ney, prince de la Moskowa et auteur de la deuxième ascension du Vignemale en 1838[13]. Les autres membres de ce groupe informel possèdent eux aussi une position importante dans la société de par leur fonction politique ou leur profession, qu'ils soient hauts fonctionnaires, militaires ou exerçant un métier conditionné par la réussite d'études supérieures[13]. Dans leur grande majorité, les premiers pyrénéistes proviennent d'un milieu urbain et essentiellement lettré[13]. À l'exception d'Anne Lister, les Britanniques sont absents de ce groupe : cela tient en grande partie du fait que les sommets pyrénéens n'atteignent pas le seuil d'admission à l'Alpine Club fixé à 13 000 pieds, soit 3 965 mètres[13]. De même, les élites locales sont absentes de ce recensement, seuls quatre de ses membres étant nés dans un département voisin de la chaîne. À ce titre, la concurrence que se livrent Armand d'Angosse et Henri d'Augerot pour être le premier Béarnais au sommet du pic du Midi d'Ossau est singulière. Le prestige d'une telle conquête se double alors d'une rivalité économique et politique entre leurs deux familles[13].

Ainsi, « par son lieu de naissance éloigné de la chaîne, sa sociologie, sa formation, sa profession, ses fonctions politiques et scientifiques », Louis Ramond de Carbonnières constitue selon de nombreux auteurs « l'idéal-type de cette génération »[13]. C'est à l'occasion d'une cure estivale à Barèges qu'il découvre les Pyrénées en 1787. Ce premier séjour nourrit l'écriture des Observations faites dans les Pyrénées, publiées au printemps 1789[14]. Élu député de Paris en 1791, il se réfugie dans les Pyrénées l'année suivante pour échapper à la Terreur. Dès lors, il poursuit une entreprise d'exploration méthodique de la chaîne, cependant qu'il enseigne à l'École centrale de Tarbes de 1796 à 1800. Son champ d'étude recouvre de nombreux domaines comme la géologie, l'histoire naturelle, la botanique ou l'ethnologie. Il atteint notamment le sommet du Mont Perdu en 1802. Nommé préfet du Puy-de-Dôme en 1806, il s'installe en Auvergne et poursuit ses recherches dans le Massif Central[14]. En associant les lettres et les sciences, l'idéal de connaissance des Lumières et l'esprit romantique, Louis Ramond de Carbonnières adopte dans les Pyrénées la même approche que le naturaliste Horace Bénédict de Saussure dans le massif du Mont-Blanc[15].

Portrait en daguerréotype d'un homme portant des lunettes.
Jean de Charpentier étudie la géologie pyrénéenne.

Plusieurs pyrénéistes de la première génération correspondent avec Ramond et partagent certains de ses camps de base (Barèges, Bagnères-de-Bigorre ou Cauterets), à l'image des naturalistes Jean de Saint-Amans et Léon Dufour, ou encore le géologue Henri Reboul qui identifie l'Aneto comme le point culminant de la chaîne[15]. D'autres hommes de sciences comme François Pasumot, Jean de Charpentier ou Pierre Cordier découvrent les Pyrénées après les Alpes et tentent de comprendre l'agencement géologique du massif[15].

En 1825, Pierre-Toussaint de la Boulinière, secrétaire général de la préfecture des Hautes-Pyrénées, publie à l'issue d'une enquête statistique sur son département un Itinéraire descriptif et pittoresque des Hautes-Pyrénées françaises, qui peut être considéré comme le premier guide pour le cœur du massif. Quelques années plus tôt, en 1807, le botaniste suisse Augustin-Pyramus de Candolle effectue une traversée d'est en ouest pour recenser la flore pyrénéenne. Cette traversée, comme celle du naturaliste Friedrich Parrot dix ans plus tard, comptent parmi les premiers exemples documentés de randonnée itinérante à travers la chaîne[15].

Portrait gravé.
Vincent de Chausenque est le premier à s'engager dans une quête sommitale.

Comme le souligne Étienne Bordes, le parcours de Vincent de Chausenque « illustre le premier cas d'un investissement sur le temps long des Pyrénées et un des premiers cas de désir pleinement assumé d'exploration et de conquête sommitale »[15]. Comme Ramond, qu'il rencontre quelques années plus tard, c'est à l'occasion d'une cure thermale qu'il rencontre les Pyrénées en 1804. Quatre ans plus tard, il prend son congé de l'armée dans le but de s'engager pleinement dans l'expérience de la montagne. Il s'établit définitivement dans les Pyrénées en 1822 et multiplie les premières ascensions, comme celle du pic de Ger en 1829 ou du pic de Néouvielle en 1847[15]. En 1834, il publie Les Pyrénées ou voyages pédestres dans toutes les régions de ces montagnes, un ouvrage qui sert de guides à de nombreux autres pyrénéistes[15].

La conquête de sommets pyrénéens encore vierges attire de plus en plus d'ascensionnistes qui font appel aux meilleurs guides pour revêtir la gloire de la première ascension. Au delà de l'exploit physique, la publication littéraire tient un rôle majeur dans la primauté de la conquête[16]. À ce titre, l'exemple du Vignemale est le plus éclairant. Durant l'été 1838, l'exploratrice anglaise Anne Lister, première femme au sommet du Mont Perdu en 1830, veut être la première touriste à en faire l'ascension. Elle s'entoure des guides Jean-Pierre Charles, Jean-Pierre Sajous, Bernard Guilhambet et Henri Cazaux. Ces deux derniers, ayant repéré l'itinéraire l'été précédent, cherchent à vendre l'exclusivité de la conquête au client le plus offrant. Le , l'expédition Lister atteint la Pique Longue, point culminant des Pyrénées françaises[16]. Mais l'exclusivité du sommet a été également promise à Napoléon Joseph Ney, prince de la Moskowa, un client de prestige. Le , accompagnés des mêmes Cazaux et Guilhambet, il atteint le Vignemale où les guides ont effacé toute trace du passage d'Anne Lister[16]. Dans les jours qui suivent, le prince de la Moskowa publie le récit de son ascension dans la Revue des Deux Mondes. Apprenant la supercherie, Anne Lister fait signer à ses guides un certificat attestant la primauté de son ascension, mais l'impact de la publication littéraire tout autant que la disparition soudaine de l'exploratrice anglaise deux ans plus tard laissent longtemps l'équivoque sur l'identité du véritable vainqueur du Vignemale[16].

Le , l'Aneto, point culminant de la chaîne, est vaincu par le militaire russe Platon Tchikhatchov et le botaniste français Albert Belhomme de Franqueville, accompagnés des guides Pierre Sanio, Pierre Redonnet, Jean Sors et Bernard Arrazau[17].

La « Pléiade » (des années 1850 aux années 1880)

Le mémorialiste Henri Beraldi donne rétrospectivement le nom de « Pléiade » à la deuxième génération de pyrénéistes qui, selon Étienne Bordes, « fait œuvre de codification, fixe une grammaire de l'ascension, écrit, crée par la fondation de revues et d'associations un moyen de réguler l'émergence d'une pratique quasi professionnelle »[18]. Ce dernier résume l'éthique de ce groupe par quatre termes : marcher, explorer, connaître et partager[19]. Les pyrénéistes de la Pléiade, qui cherchent à promouvoir une pratique spécifique de la montagne pyrénéenne, systématisent et intensifient leurs explorations, valorisent « à la fois l'endurance et l'excellence physique, un certain esprit de découverte et d'aventure, une volonté de connaître les choses et les gens, une entreprise de partage par l'écrit et les lieux de ces expériences »[18].

Comme ceux de la génération précédente, les membres de la Pléiade appartiennent au même univers social élitaire, mais son centre de gravité se déplace de l'aristocratie vers la bourgeoisie implantée dans les villes du quart sud-ouest de la France, de sorte que le pyrénéisme de la seconde moitié du XIXe siècle est davantage le fait d'une élite locale ou régionale[20]. Alors qu'ils ne représentent que 2,2 % de la population française en 1866, les protestants sont surreprésentés au sein de cette élite bourgeoise intellectuelle et cultivée, à l'image du pasteur Émilien Frossard, du géographe Franz Schrader ou encore de l'ingénieur et homme politique Adrien Bayssellance[20]. Les représentants de l'aristocratie, certes moins nombreux, continuent d'occuper une position influente et importent les pratiques de leur classe sur le terrain de la montagne, à l'image du comte Henry Russell qui donne des réceptions fastueuses à près de 3 000 m d'altitude dans les grottes qu'il fait aménager sur les flancs du Vignemale[20].

Plus encore que pour la génération précédente, la conquête des hauts sommets est une priorité pour les membres de la Pléiade qui font preuve de qualités physiques exceptionnelles : à ce titre, le palmarès d'Henry Russell est considérable, avec une trentaine de premières. Par ailleurs, les pyrénéistes de la Pléiade systématisent les randonnées itinérantes et n'hésitent pas à séjourner en altitude, voire à passer la nuit sur les sommets, de sorte que l'ascension d'un pic n'est parfois qu'un des épisodes d'un long parcours en altitude[21]. Contrairement à leurs aînés, qui se concentraient sur les montagnes autour des grands sites thermaux, ils s'aventurent désormais dans des secteurs longtemps désertés comme les massifs ariégeois, les sierras aragonaises ou le massif des Posets[21].

De nouveaux usages (des années 1880 au début du XXe siècle

Cette section est vide, insuffisamment détaillée ou incomplète. Votre aide est la bienvenue ! Comment faire ?

Le pyrénéisme, il y a cent ans

Le port de Venasque à Luchon en 1875.

C'est l'écrit qui fonde le pyrénéisme

Henri Beraldi insiste.

  • Le pyrénéisme n'existe que

«  dans ses trois périodes : l'histoire ancienne, commençant avec Ramond (avant Ramond ce n'est pas l'histoire, c'est l'époque préhistorique) ; l'âge moyen, avec Chausenque ; l'ère moderne, avec le comte Russell. »

  • Le pyrénéisme est géographique.

Henri Beraldi, dans son excursion biblio-pyrénéenne, situe les écrits du pyrénéisme de la manière suivante :

« Écrits de tous genres, chaînes de livres se classifiant comme la chaîne même des Pyrénées. Et que comprennent donc les Pyrénées ? - des sommets de premier ordre, - d'autres de second, - des vallées, - des établissements thermaux. »

  • Le pyrénéisme, c'est l'affaire de qui ?
Moraine du Néthou, Béraldi père et fils, Vives, Spont et Jean Angusto en 1900 par Eugène Trutat.

Henri Beraldi pose enfin la question suivante : Qui les visite (les Pyrénées) ?
et répond :

« Des hommes de sommets, pour lesquels il n'y a pas de Pyrénées au-dessous de trois mille mètres ; - des hommes de demi-sommets, recherchant moins la difficulté que le pittoresque de la montagne et la beauté des observatoires ; - des hommes qui n'apprécient la montagne que dans les vallées ; - enfin des hommes pour qui les Pyrénées signifient exclusivement casino ou grande douche. »

La littérature pyrénéiste

Pour être reconnu pyrénéiste, il faut donc, selon Beraldi, ascensionner, écrire et sentir - et, nécessairement publier. La matière de l'analyse de Beraldi dans Cent ans aux Pyrénées est la masse des ouvrages de toutes sortes traitant du voyage aux Pyrénées. La variété des visiteurs entraîne la variété des œuvres :

« De là les diverses littératures pyrénéistes : livres de sommets, livres de demi-sommets, livres de vallées, livres d'établissements thermaux. »

Ce qui frappe d'abord dans la foule des auteurs cités et commentés par Beraldi, c'est leur origine géographique : pas (ou si peu...) de Pyrénéens (nés au pied des montagnes). Les auteurs pyrénéistes sont des touristes venus aux Pyrénées pour leurs loisirs, même si certains s'y sont installés ou ont tenté de le faire : Ramond, professeur à Tarbes, Russell louant le Vignemale pour 99 ans, Schrader s'installant à Pau...

En 1908, Louis Le Bondidier ironise :

« Pour devenir pyrénéiste à l'état parfait, il est à peu près indispensable de n'être point né Pyrénéen. [..] Le Pyrénéen de naissance est vacciné contre le microbe pyrénéiste[22]. »

Par une critique sévère et ironique, Beraldi, distingue donc parmi ces touristes-voyageurs et écrivains, ceux qui sont dignes d'être reconnus comme pyrénéistes. Mais, finalement, ceux qui seront le plus facilement admis comme tels sont les explorateurs (des derniers sommets non encore conquis, des versants inconnus des montagnes espagnoles...) et les cartographes (les officiers géodésiens comme les amateurs éclairés). Le pyrénéiste reste avant tout celui qui fait de la montagne dans les Pyrénées.

La question de la première

Échelle de Tuquerouye, Félix Régnault et Henri Passet en octobre 1892.

La première (première ascension d'un sommet ou premier parcours d'un itinéraire), est une question que l'on retrouve dans toute la littérature pyrénéiste, du moins celle des livres de sommets. Les débats sont parfois vifs, pour ne pas dire les querelles, lorsqu'il s'agit d'acter à qui revient l'honneur d'être le premier.

La nature même des Pyrénées, massif de moyenne altitude, pratiquement dénuées de zones glaciaires rend la plupart des sommets facilement accessibles, du moins pendant l'été. La question de leur première ascension n'a donc pas forcément de sens, les Pyrénées étant fréquentées depuis le néolithique par les troupeaux et leurs bergers, par les chasseurs d'isards et les contrebandiers. Et les sommets n'étaient, pour leurs utilisateurs habituels, ni plus, ni moins intéressants que les pâturages : des bêtes, des ovins surtout, s'y égarant parfois jusqu'aux plus hautes altitudes, parfois postes de chasse. Bien sûr, certaines conquêtes sont, de manière presque certaine, l'œuvre des touristes, voyageurs et autres pyrénéistes : le Balaïtous, les hautes crêtes du Vignemale, la Maladetta. Mais les pyrénéistes eux-mêmes reconnaissent parfois qu'il y avait déjà un signal, une tourelle, un cairn ou autre trace sur le sommet que l'on venait de vaincre. Exemple le plus frappant : les guides de Ramond de Carbonnières furent conduits au sommet du Mont-Perdu par un berger espagnol.

La première est parfois revendiquée par celui qui s'en dit l'auteur : Beraldi ajoute maintes fois après le mot première, « par un touriste ». L'ascension n'a de valeur, d'existence même, que quand elle a été racontée par l'écrit. C'est donc le touriste-écrivain qui en sera reconnu comme l'inventeur et non les montagnards ou les guides qui l'ont conduit.

Le nom des sommets

Le Campanal de Larrens.

L'autre grande question qui agite, dès le XIXe siècle le monde des touristes-écrivains, ceux qui seront qualifiés de pyrénéistes, est la dénomination des massifs et des sommets. La conquête implique en effet de nommer son objet.

Les habitants des montagnes ont nommé de long temps, les cabanes, les pâturages, les forêts, les lacs, les cols, parfois les crêtes séparant les vallées, en somme tous les lieux utiles. Ils ont ignoré les sommets, lieux a priori sans intérêt. Chacun de ces lieux a été nommé dans le cadre - et la langue : l'occitan, l'aragonais, le catalan, le basque - de la communauté paysanne qui les parcourait et les utilisait. D'où des toponymes souvent identiques ou voisins, d'une vallée à l'autre, pour désigner des lieux différents. Les crêtes et les montagnes qui séparent les territoires portent, le plus souvent deux ou plusieurs noms : ceux donnés par les montagnards de chaque versant qui en faisaient usage.

Les touristes, les pyrénéistes, cherchent à nommer leurs montagnes : on ne peut parler que de ce qui est identifiable. Le nom des sommets est donc demandé aux guides et aux bergers. Les sommets deviennent les « pics de... » (pic de Campbieil, par exemple, pour désigner le pic qui dominait le pâturage de Campbieil). Certains sommets ont deux noms, selon leur auteur (pic de Néouvielle ou pic d'Aubert, par exemple). Désordre auquel les pyrénéistes, après de longues polémiques, mettent fin par des commissions toponymiques, qui baptisent les sommets de noms officiels, repris ensuite par les cartographes.

La multiplication des pyrénéistes et leur appétit de conquête entraîne la pléthore des noms : tout ce qui se différencie un tant soit peu sur une crête reçoit un nom. D'où, par exemple, la multiplication des 3 000 (les sommets de plus de 3 000 m d'altitude, hauteur symbolique dans les Pyrénées). Et, finalement, l'attribution à des sommets de noms de pyrénéistes en hommage rendu par leurs pairs, parfois même de leur vivant : Soum de Ramond, pic Brulle, pic Schrader, pointe Ledormeur.

Le pyrénéisme du XXe siècle

Le XXe siècle, celui de l'après Henri Beraldi, va continuer à développer une subjectivité pyrénéiste toute liée à l'après exploration, à l'après conquête. Si déjà, la reconquête est amorcée à la fin du XIXe siècle au travers de la recherche de voies nouvelles, nous assistons à une autre forme de conquête, s'appuyant notamment sur une évolution technique importante, européenne dans un premier temps, puis sous l'influence des États-Unis. Ainsi se décline au même titre que l'évolution de l'alpinisme de difficulté, un pyrénéisme de difficulté.

Le pyrénéisme de difficulté

Les voies d'accès au sommet de la Pique d'Endron par le créneau d'Endron.

Le terme pyrénéisme, dans cette acception, ne se distingue de celui d'alpinisme que par la signification du massif dans lequel il est pratiqué.

Le pyrénéisme de difficulté n'est pas né au XXe siècle. Le père en est certainement Henri Brulle qui, dès 1878, généralise l'emploi de la corde d'assurance et du piolet court dans ses ascensions. Avec Bazillac, de Monts, d'Astorg comme compagnons de cordée, et conduits par les guides Célestin Passet et François Bernat-Salles, il réalise de nombreuses premières, parmi lesquelles la face nord du Mont Perdu et le couloir de Gaube au Vignemale.

Il est indéniable que l'entreprise pyrénéiste constituée par l'attrait de l'inconnu et la conquête de nouveaux sommets s'épuisaient au fil du temps. De même, le pittoresque s'étant largement vulgarisé aux travers d'albums, du dessin, de la peinture, atteignant son paroxysme avec l'image photographique, il fallait au même titre que l'alpinisme concevoir un pyrénéisme avec de nouvelles pratiques : nouveaux itinéraires, faces nord, ascensions hivernales ou en solitaire. La création du Groupe Pyrénéiste de Haute-Montagne, le 11 juillet 1933, fut un des actes fondateur de ce pyrénéisme de difficulté contemporain dont les acteurs Ollivier, Mailly, Cazalet, Barrio, Arlaud et tant d'autres utilisèrent les techniques les plus modernes de progression, développées par les grimpeurs des Alpes orientales (notamment usage des pitons). L'après-guerre vit une nouvelle génération de grimpeurs renouveler la pratique : les Français Jean et Pierre Ravier, Patrice de Bellefon, Despiau, Sarthou, les Espagnols Rabada, Anglada, Montaner et Navarro[23].

Enfin, toutes les arêtes et les parois vaincues, les éphémères cascades de glace deviennent la quête de la fin du XXe siècle. Les pratiques évoluent aussi : reprise des voies anciennes en libre, voire en solo extrême, y compris en hivernales.

Ce pyrénéisme de difficulté engendre également de multiples écrivains qui illustrent cette passion.

À la recherche du pyrénéisme

L'idée selon laquelle il existe une spécificité pyrénéiste a toujours fait débat.

Un randonneur au pic des Gourgs Blancs en 2004.

Dans la ligne de Beraldi on peut trouver des arguments typiquement pyrénéistes :

  • Pour J.C. Tournou-Bergonzat[24],

« la source qui a fait naître le pyrénéisme à ses débuts se justifiait dans une exploration savante, l'utile prévalait sur le sentiment. Mais au fur et à mesure du temps, de la connaissance des Pyrénées, l'humain subjugué par l'âme qu'il prête à ces dernières, va peu à peu avec une poésie toute lamartinienne, animer le dernier étage du paysage, le transformer en écoumène[25]. En cela, il a créé ses Pyrénées. Il y mesure les sommets, puis les sommets à leur tour exaltent le beau à l'homme, l'extase, la contemplation (voir Cent ans de peinture de montagne). »

« Enfin, le pyrénéiste se revendique alpiniste comme Henri Beraldi, Ramond, la Pléiade[26] nous y ont préparés, mais aussi les bergers devenus guides, et d'authentiques amateurs de montagnes. L'historien-géographe et les autres pyrénéistes nous ont donné une ferveur, le goût de la fidélité pour une montagne, une passion propre au pyrénéisme, malgré les contraintes que génère la pratique alpinistique, souvent avec élégance. Mais, après deux siècles d'exploration, de conquête, d'invention, de désir que chacun porte en lui, le pyrénéisme a atteint un apogée naturel autant que culturel, de références qui font des Pyrénées, un mot : le pyrénéisme, avec sa littérature pyrénéiste, une iconographie pyrénéiste, dans le haut lieu naturel d'une civilisation paysagère occidentale. Et par là-même, le pyrénéisme et la diversité de ses acteurs peuvent prétendre à l'universel. »

Mais la question, posée par l'éditeur du Dictionnaire des Pyrénées, a abouti à deux réponses opposées[27].

  • Pour Hélène Saule-Sorbé, « aller faire un sommet c'est aussi parcourir son histoire », rejoignant ainsi Jean et Pierre Ravier qui utilisent l'expression « entrer en pyrénéisme » ou Joseph Ribas pour qui « le pyrénéiste intègre le vivant et le culturel dans le paysage, à ses yeux lieu de rencontre, lieu d'échange ».
  • Pour Renaud de Bellefon, le pyrénéisme est « un fourre-tout dénué de sens, car ses approches sensibles et savantes, parfois opposées à la référence sportive, sont de tous lieux » et dont « l'invention est d'abord efficace dans le champ de la bibliophilie (elle crée un espace de collection) ». Elle n'a que « le mérite d'obliger les alpinistes à ne pas oublier nos montagnes alpinistiquement secondaires »

Liste de grands noms du pyrénéisme

Gravure en noir et blanc représentant le portrait d'un homme habillé de façon soignée.
Louis Ramond de Carbonnières
Portrait d'un homme.
Charles Packe
Portrait d'un homme avec bonnet, écharpe et pipe.
Champion de Nansouty
Portrait d'un homme.
Henry Russell
Portrait d'un homme.
Franz Schrader
Portrait d'un homme.
Georges Véron

Notes et références

  1. a et b Frédéric Chose, « Un pyrénéisme numérique peut-il exister ? », Hermès, no 91 « La marche »,‎ , p. 189-193 (lire en ligne).
  2. a b c d e et f Bordes 2024, p. 7-10.
  3. Henri Beraldi, Cent ans aux Pyrénées (tomes 1 à 4), Pau, MonHélios, (ISBN 978-2-914709-95-8), p. 9.
  4. a et b Xavier Arnauld de Sartre, « Le pyrénéisme est-il un possibilisme ? Quand un regard construit et hérité médiatise le rapport au milieu », Sud-Ouest européen, no 32 « Aléas, vulnérabilités et adaptations des sociétés du passé »,‎ , p. 117-128 (lire en ligne).
  5. Paul Bessière, L'alpinisme, Presses universitaires de France, coll. « Que sais-je ? », , p. 50.
  6. Renaud de Bellefon, « À la recherche du pyrénéisme », dans André Lévy (dir.), Dictionnaire des Pyrénées, Toulouse, Privat, , p. 683.
  7. Bordes 2024, p. 13.
  8. a b et c Bordes 2024, p. 11-16.
  9. a et b Bordes 2024, p. 10-11.
  10. Beraldi 1898, p. 1.
  11. a b c et d Bordes 2024, p. 35-36.
  12. Bordes 2024, p. 53-54.
  13. a b c d e et f Bordes 2024, p. 37-40.
  14. a et b Bordes 2024, p. 40-44.
  15. a b c d e f et g Bordes 2024, p. 44-46.
  16. a b c et d Bordes 2024, p. 47-50.
  17. Bordes 2024, p. 50-52.
  18. a et b Bordes 2024, p. 56-58.
  19. Bordes 2024, p. 63.
  20. a b et c Bordes 2024, p. 58-62.
  21. a et b Bordes 2024, p. 63-67.
  22. Louis Le Bondidier. Variations sur des thèmes pyrénéistes. Louis Le Bondidier est le fondateur, en 1921, du Musée pyrénéen de Lourdes.
  23. Le dictionnaire des Pyrénées, p. 677.
  24. J.C. Tournou-Bergonzat, Tome 10 des Cahiers de Pyrénées Haute Montagne
  25. Mot emprunté aux géographes grecs pour désigner la terre habitable. On écrit aussi œkoumène.
  26. La Pléiade est le nom donné par Henri Beraldi au groupe des sept pyrénéistes qui parachevèrent la conquête des sommets pyrénéens de 1860 à 1902 : Russell, Lequeutre, Wallon, Schrader, Gourdon, Saint-Saud, Prudent. Cf. Cent ans aux Pyrénées, tome III.
  27. Le dictionnaire des Pyrénées, p. 678 à 683.
  28. Joseph Ribas Petit Précis de pyrénéisme, Toulouse, Loubatières, 1998.

Voir aussi

Sur les autres projets Wikimedia :

  • pyrénéisme, sur le Wiktionnaire

Articles connexes

Bibliographie

  • Henri Beraldi, Cent ans aux Pyrénées, t. 1, Paris, Impr. de L. Danel, , 207 p. (lire en ligne).
  • Louis Ramond de Carbonnières, Observations faites dans les Pyrénées pour servir de suite à des observations sur les Alpes, Paris, Belin, (lire en ligne)
  • Jacques Labarère, Essai de Bibliographie Pyrénéiste, suivi des index des noms de personnes et des noms de lieux cités dans l'ouvrage d'Henri Beraldi Cent Ans aux Pyrénées, vol. 1 et 2, Les Amis du Livre Pyrénéen, , 248 et 252 p..
  • Renaud de Bellefon, « L'écueil des revues pyrénéistes : la tentation de l’érudition rétrospective », Amnis, no 1 « Une montagne de journaux, des journaux de montagnes »,‎ (lire en ligne).
  • Monique Dollin du Fresnel, Henry Russell (1834-1909) : Une vie pour les Pyrénées, Éditions Sud Ouest, , 463 p. (ISBN 978-2-87901-924-6).
  • André Suchet, « De Louis Ramond de Carbonnières à la Pléiade des Pyrénées ou l’invention du pyrénéisme selon Henri Béraldi », Babel, no 20 « Écrire la montagne »,‎ , p. 118-128 (lire en ligne).
  • Camille Ballerini, Le pyrénéisme : un patrimoine méconnu ? L'étude des Hautes-Pyrénées (Mémoire de Master professionnel), Université de Pau et des pays de l'Adour, (lire en ligne).
  • Jacques Labarère, Henri Beraldi (1849-1931), Historien des Pyrénées, vol. 1,2,3, Les Amis du Livre Pyrénéen, , 329, 272 et 98.
  • Manel Rocher Gonzalez et Claude Molinier, « Une ré-Vision du Pyrénéisme pour le XXIe siècle », dans La montagne explorée, étudiée et représentée : évolution des pratiques culturelles depuis le XVIIIe siècle, Paris, Éditions du Comité des travaux historiques et scientifiques, (lire en ligne).
  • Anne Lasserre-Vergne, Henry Russell : montagnard des Pyrénées, Morlaàs, Cairn, coll. « Petite Histoire », , 156 p. (ISBN 978-2-35068-984-5).
  • Étienne Bordes, Petite histoire des Pyrénéistes, Morlaàs, Cairn, coll. « Petite Histoire », , 136 p. (ISBN 9791070063811).

Liens externes

  • icône décorative Portail de la montagne
  • icône décorative Portail des Pyrénées
  • icône décorative Portail de l’alpinisme et de l’escalade